Cinglés !, de Elmore Leonard

Cinglés !, de Elmore Leonard

« Si tu peux trouver le courage de surprendre des types qui n’attendaient que de te tuer, ça ne doit pas trop être difficile de surprendre des gens qui ont peur du noir. »

Auteur prolifique en même temps qu’apôtre de la culture populaire américaine, le regretté Elmore Leonard (1925-2013) dresse en 1969 avec Cinglés ! un singulier portrait de femme fatale qui à force de repousser sans cesse les limites du raisonnable finit par se brûler les ailes. Une revisitation féminine en quelque sorte du mythe d’Icare. Cette femme fatale, c’est Nancy, petite amie du millionnaire Ray Ritchie, ancienne maîtresse de Bob Jr, et qui inlassablement tisse sa toile autour de Jack Ryan, jouant de sa plastique et de la faiblesse des hommes. Lui est un petit cambrioleur sans trop d’envergure qui vient de faire de la prison. Ancien cueilleur de concombres, il se retrouve homme à tout faire de M. Majestyk, juge de paix et propriétaire d’un village de bungalows en bord de plage. Vince Majestyk sera en 1973 le personnage d’un film de Richard Fleischer, incarné par Charles Bronson, puis celui d’un roman d’Elmore Leonard l’année suivante. Pour l’heure, cet homme-là est honnête et il cherche à remettre Jack Ryan sur les bons rails. Malheureusement, il y a de la folie à revendre chez Nancy, une femme capable de poursuivre en voiture pare-chocs contre pare-chocs deux jeunes qui ont eu le mauvais goût de lui faire des allusions agressives sexuelles à un feu rouge, et de les précipiter dans un ravin, particulièrement à l’aise quand il s’agit de tirer sur les fenêtres des maisons isolées, quand elle n’y entre pas par effraction juste pour le plaisir et l’adrénaline ; il y en a également chez Jack Ryan car il aime aussi risquer sa vie. Ces deux personnages étaient faits pour se croiser et s’unir, et Nancy va proposer à Jack de braquer un pavillon de chasse avec bientôt cinquante mille dollars dans un coffre-fort. Mais la manœuvre est risquée et l’esprit de Nancy retors. Le romancier déroule son intrigue en passant de personnages principaux en personnages secondaires avec jouissance. Ces derniers sont des paumés de la vie en recherche du coup qui les sortira de la panade et qui sans cesse re-dégringolent fatalement en une déclinaison d’un autre mythe, celui de Sisyphe. Sur fond de mauvais coups, de chantage, de trahisons, de coups échangés, de séduction et de remords, l’histoire s’installe et nous embarque avec talent dès ses premières lignes. Majestueux !


Cinglés ! (The Big Bounce, 1969), de Elmore Leonard (Rivages, « Rivages-Noir » n°962. Traduit de l’anglais américain par Élie Robert-Nicoud. 298 p. -9,00 €.)

Julien Védrenne / 29 décembre 2016
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