Lune sanglante, de James Ellroy

Chronique pour le webzine k-libre du 21 août 2017 : surhomme intellectuel

« Au lieu de sa journée prévue, ouvrir le magasin et s’occuper de la paperasserie, elle allait rejeter dans l’oubli l’amant traître de ses rêves par l’écriture, le confinant dans un univers d’infamie par l’envoi d’une bordée de mots cinglants et bien sentis contre les hommes faibles dont la violence est l’obsession. Elle allait affronter le sergent Lloyd Hopkins face à face et le démolir. »

Lune sanglante  est le premier volet de la trilogie de James Ellroy consacrée au flic hyper-intelligent Lloyd Hopkins du LAPD écrit en 1984. On y retrouve les éléments qui vont faire la renommée de l’écrivain américain : personnage nietzschéen, protagonistes hantés par le portrait d’une femme, bas-fonds crades de Los Angeles et calculs administratifs policiers – le tout avec une prose incisive aux fioritures amères, une narration inventive et des descriptions urbaines et sociétales à la hauteur. Deux trames narratives viennent se confronter : celle de Lloyd Hopkins, jeune gradé au couple qui se dégrade et qui instinctivement se met à pourchasser un tueur en série non décelé ; celle du tueur, autrement appelé Le Poète, meurtri et violé au cours de son adolescence, amoureux fou de Kathy. Les deux personnages sont pareillement tourmentés mais ont choisi de suivre deux voies opposées. C’est en cela que Lloyd Hopkins peut être taxé de personnage nietzschéen. C’est un surhomme intellectuel dévoué à son métier et qui compense cette force par une faiblesse adultérine à la limite de la compulsivité. Le Poète, lui, cultive son obsession de l’être aimé en chassant des proies qui lui ressemblent. Après des journées, voire des semaines de traque et d’écoute, il passe à l’oeuvre et trucide ses victimes alors que dans le même temps il réalise des photos de mariage. Il prend cependant le soin d’élargir son cercle d’action, et son mode opératoire diffère même si l’intelligence de Hopkins va y trouver des points communs. Le roman haletant jusqu’à la dernière page est finement construit avec des personnages aux failles justes qui vont puiser dans un passé triste et violent qui a des répercussions aujourd’hui encore. Hopkins et Le Poète sont les deux faces d’une même obsession qui ne peut aboutir qu’à un jet d’hémoglobine sanglant délivrant les trois protagonistes principaux puisque outre les deux hommes, il ne faut pas oublier la figure tutélaire de Kathy, femme elle aussi tourmentée, libraire et poétesse solitaire. Mais ce qui détonne surtout c’est la profonde humanité d’Hopkins envers les autres et son désir de faire le Bien au détriment de son existence et des siens. Une intrigue dense, des personnages fouillés, un aspect humain omniprésent et une solitude de l’âme à pleurer : Lune sanglante est un putain de bon roman !

Distingué Grand Maître par l’association des Mystery Writers of America en 2015, James Ellroy (né en 1948) a dix ans lorsque sa mère est assassinée. Un drame d’autant plus marquant que le coupable est à ce jour impuni. S’ensuit un parcours initiatique chaotique sur fond de larcins, de drogue et d’emprisonnement avant qu’il ne se mette à écrire des romans noirs et qu’il n’impose sa patte de styliste décortiqueur des névroses urbaines de Los Angeles. Auteur de deux trilogies et de deux tétralogies sur la Cité des Anges, il doit sa renommée en France à François Guérif qui l’a édité chez Rivages.

Lune sanglante (Blood on the Moon, 1984) de James Ellroy
Rivages « Rivages-Noir » n° 27. Décembre 1997 ; 286 p. – 8,65 €.
Roman traduit de l’anglais (États-Unis) par Freddy Michalski.
ISBN 978-2-86930-077-8

Série « Trilogie Lloyd Hopkins » (1984-1986) :
1. Lune sanglante  (Blood on the Moon, 1984)
2. À cause la nuit (Because the Night, 1984)
3. La Colline aux suicidés (Suicide Hill, 1941)

Julien Védrenne / 21 août 2017
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