Radio G. 101.5. Chronique de l’émission ImaJn’ère du 18 avril 2017

Émission ImaJn’ère du 18 avril 2017 à 21 heures sur Radio G. Étaient présents Pierre-Marie Soncarrieu (animateur), Julien Védrenne, Patrice Verry & Jean-Hugues Villacampa. Invitée : Beth Green.

Vingt ans se sont écoulés depuis Dernière station avant l’autoroute. On pensait Hugues Pagan définitivement perdu pour le roman. Ce styliste hors pair, capable d’images, voire de licences poétiques fracassantes – « Le jour avait fini par ramper dehors » – comme de descriptions d’une justesse crasse et pourtant banale – « Sur l’appui de fenêtre, la cafetière glougloutait en se rengorgeant à part soi, d’un ton de satisfaction » -, avait été contraint de céder aux sirènes de la télévision, et était depuis 2008 le scénariste de la série TV Nicolas Le Floch. Auparavant, il avait créé et scénarisé Police District, Mafiosa et Un flic. Un boulot alimentaire qui rémunère bien mieux que l’écriture de romans policiers. L’homme a un parcours atypique. Né en Algérie, il devient professeur de philosophie avant d’endosser l’imperméable d’inspecteur de police. De 1982 à 1997, au Fleuve Noir puis chez Rivages, il publie dix romans tous aussi noirs, tous aussi puissants, tous aussi bien écrits. Et puis plus rien avant ce début d’année 2017 et ce Profil perdu (pour un romancier retrouvé). Mais Hugues Pagan est un sacré roublard et sous couvert d’un roman policier impitoyable aux allures de film du même genre des années 1970, il nous propose, impose, un roman d’amour bicéphale et contraire – en bref : deux destins de couples amoureux diamétralement opposés (j’adore les termes qui compliquent une phrase déjà complexe, mais l’amour est complexe dont acte). L’intrigue ne se situe pas à Paris mais dans une ville sans nom de l’Est de la France à la veille de Noël 1979. D’un côté, un couple qui éclate (celui de l’inspecteur Meunier et de sa femme, la juge Minnie), de l’autre celui qui éclot (Schneider et Cherokee). Schneider, c’est le héros mâle de cette intrigue, plus prompt à embarquer son storno (émetteur-récepteur portable, ancêtre de notre portable, quoi !) que son flingue. Avec son nom d’Allemand enrôlé dans la Légion forcément étrangère, c’est un flic intègre, mort intérieurement depuis qu’il a fait la guerre d’Algérie, et qui a des manières toute personnelles de travailler, de celles qui attirent les inimitiés. Espèce de Burt Reynolds au grand cœur qui s’ignore, il va croiser la route de Cherokee, infirmière aux gros seins et aux fesses sculpturales, qui attend une histoire sentimentale et qui multiplie les histoires d’amour charnel. L’homme qu’elle attend c’est donc Schneider. Elle, elle a un nom d’héroïne de films policiers des années 1970.

Sharky’s Machine, de Vittorio Gassman avec Rachel Ward et Burt Reynolds (1981)

Dans une autre vie, elle aurait déjà croisé Burt Reynolds dans Sharky’s Machine, et se serait appelée Dominoe, à moins qu’elle n’ait fini par tomber sur Lee Marvin dans Prime Cut, auquel cas, elle aurait été prénommée Clarabelle. Dans Profil perdu, cette tigresse qui entend défendre son homme, c’est Cherokee. Elle a la férocité et l’humanité des Indiens, elle a la fureur de celles qui ont trouvé et qui ne veulent plus perdre. Parce qu’il enquête sur la mort de Meunier de cinq balles dans le buffet, et qu’il met les plats dans l’omerta policières, Schneider est en grand danger. Mais son plus grand danger, c’est lui-même. Sans cesse sur le fil du rasoir avec des idées suicidaires, il évolue dans un marigot où truands et flics s’entremêlent mais ne se mêlent pas (trop) des affaires des autres. Il y a des silences, il y a du sang, il y a des émotions et surtout il y a au sein d’un final époustouflant digne des plus grands romans de l’espoir. Hugues Pagan est de retour. Espérons pour la littérature qu’il ne reparte pas trop vite vers la télévision française. En attendant, plongez-vous dans ce Profil perdu aux éditions Rivages, collection « Rivages-Thriller ». Et maintenant, Ray Charles, Where can I go, l’éternelle question que se pose Schneider avant de rencontrer Cherokee. La femme serait-elle l’avenir du flic ?

Ray Charles « Where Can I Go » de l’album Ingredients In A Recipe For Soul, 1963.

« Il ressentit alors cet instant de brusque désespoir, lorsque l’on ne souffre pas encore, mais que l’on sait déjà qu’une balle de fort calibre vient de vous frapper de plein fouet. »
Profil perdu, de Hugues Pagan (Rivages, « Rivages-Thriller ». Mars 2017 ; 412 p. ; 19,90 €.)

Julien Védrenne / 20 avril 2017
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